Les premières Rencontres de la Santé en Lot-et-Garonne consacrées aux déserts médicaux
Le journal Sud-Ouest et le laboratoire pharmaceutique UPSA ont organisé une conférence sur la Santé en Lot-et-Garonne mardi 28 mai au cinéma CGR à Agen, en partenariat avec l’Etat, le Conseil départemental de Lot-et-Garonne, l’Agglomération d’Agen, l’Agence Régionale de Santé de Nouvelle-Aquitaine, le groupe ELSAN ainsi que le Pôle de Santé de la Vallée du Lot. Deux tables rondes intitulées « Quel diagnostic sur le territoire ? » et « Quelles solutions pour les années à venir ? » ont été animées par Laetitia Langella, journaliste TV7 et Bastien Souperbie, chef d’agence départementale Sud-Ouest Lot-et-Garonne.
Si plus de 170 personnes ont assisté, mardi dernier, à ce premier grand débat portant sur la désertification médicale, l’Agence Régionale de Santé de Lot-et-Garonne aura brillé par son absence, une absence remarquée et déplorée par le public, la raison avancée étant un devoir de réserve au moment des élections européennes. A l’heure où la patientèle se retrouve de plus en plus démunie face à un refus de pris en charge de médecins surbookés, où les rendez-vous médicaux prennent des allures « escargotiques », où les traitement d’urgences comme un grain de beauté suspect, un abcès dentaire sont renvoyés aux calendes grecques, le positionnement de l’ARS sur ces problématiques semblait légitime. On court après des rendez-vous qui se font de plus en plus désirés et certains patients, finissement même par abandonner les soins à cause de rendez-vous trop éloignés dans le temps. Cerise sur le gâteau de la désertification, les médecins qui partent en retraite, laissent démunis de nombreux patients, à l’instar des 5 000 habitants des quartiers de Donnefort, Bézis, Parc Mathieu et La Villette qui se retrouvent sans médecin généraliste depuis le 28 mars dernier. Comment endiguer cette désertification galopante ?
« Nous avons une première responsabilité en assurant un accès continue aux médicaments, déclare Laure Lechertier, directrice accès au marché, communication, affaires publiques, RSE UPSA. Cela nous tient à cœur d’amener une équité d’accès aux soins. Il y a une transformation très profonde du métier de pharmacien et les médecins nous remontent leurs frustrations dans l’exercice de leurs métiers. Il y a une émergence des maladies chroniques. Nous avons 100 collaborateurs basés à Agen qui nous font part de leurs difficultés d’obtenir des rendez-vous médicaux. Mais il y a toujours eu zéro pénurie de médicaments chez UPSA !» Premier employeur privé de Lot-et-Garonne, UPSA est présent dans 60 pays, a produit 376 millions de boîtes en 2023 (dont 317 millions à base de paracétamol) et 54 % de son chiffre d’affaires est réalisé à l’international.

Une maison médicale de garde les week-ends
« Des zones sont mal desservies, alerte Bruno Chauvin, directeur du Pôle de Santé du Villeneuvois. Il n’y a plus de cardiologues libéraux et de pédiatres dans certains endroits, ce qui engendre une affluence aux urgences qui relèvent plus de 80 passages par jour. Une maison médicale de garde fonctionnant tous les week-ends permet de répondre aux besoins de soins permanents relatifs à des soins classiques. La situation diagnostique est grave ! »
Une carence inquiétante en officines
Un déclin pharmaceutique est également à déplorer : au 1er janvier 2019, selon « Le pharmacien », 21 665 pharmacies d’officine étaient dénombrées. Elles ne sont plus que 19 966 aujourd’hui à tenter de résister à l’amplification de la désertification médicale. « Il y a un maillage territorial, explique Gérard Deguin, président du Conseil Régional de l’Ordre des Pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine. On ne peut pas s’installer où on le souhaite. En Lot-et-Garonne, il reste 116 pharmacies (après la fermeture de deux d’entre elles) contre 125 avant la Covid. Beaucoup de pharmacies ne trouvent pas preneurs. Il y a eu 95% de grévistes le 30 mai. La gestion des ruptures de stocks s’avère très chronophage et très stressante. Deux grandes familles manquent beaucoup : certains anticancéreux et des diabétiques. Les pharmaciens ne comprennent pas cette schizophrénie : nous sommes là pour aider, pour dégager du temps médical. On veut supprimer la pharmacie de village. L’objectif principal de la grève est la dérèglementation. Il y a une incompréhension totale de cette dérèglementation ! »
Cette grève avait aussi pour objectif d’alerter l’Etat sur la pénurie de médicaments, la désertification pharmaceutique (souvent occasionnée par une désertification médicale, Ndlr), de solliciter une revalorisation de leurs honoraires, de dénoncer la libéralisation de la vente en ligne de médicaments, la dérégulation du maillage officinal, l’acharnement administratif… les raisons du mécontentement des pharmaciens sont nombreuses.
Evelyne Wysocki exerce la fonction de secrétaire au sein de l’association « Les Amis de la Santé du Lot-et-Garonne » qui regroupe une cinquantaine d’adhérents. L’objectif de cette association consiste à accompagner les patients souffrant d’addictions (alcool, drogues…) en animant des groupes d’entraide, en assurant des permanences et en organisant des activités ludiques mais « la population est parfois très précaire et l’accès aux soins est compliquée » déplore-t-elle.
« Nous avons un véritable boom médical de jeunes qui viennent se former en France » se réjouit Bruno Chauvin, directeur du Pôle de Santé du Villeneuvois. Concernant l’IPA (Infirmiers en pratique avancée), « des infirmiers qui sont déjà au Pôle Santé du Villeneuvois sont formés à Toulouse et reviennent avec un diplôme ! (Diplôme d’Etat d’Infirmier en pratique avancée). Nous travaillons aussi beaucoup sur la qualité de vie au travail. Nous essayons de motiver les personnes à venir chez nous et à y rester, à proposer des emplois aux conjoints, des logements. N’oublions pas que ce sont les élus qui rendent le territoire attractif ! »
Sur 160 places d‘étudiants en pharmacie, 66 places ont été prises mais « la filière médicale nous en a repris 25, déplore Gérard Deguin. Nous avons un problème d‘intéressement pour la profession et les études. Sur la réforme des études, on s’est planté. Il y a des français qui vont étudier en Roumanie où les cours sont prodigués en Français ! »

Un médicobus prêt à sillonner tout le territoire
Patricia Moreaux, vice-présidente de la Communauté Professionnelle Territoriale de Santé du Grand Agenais rappelle les enjeux de la CPTS regroupant, à ce jour, 145 professionnels de santé libéraux du territoire : cette CPTS apporte « une meilleure connaissance de la profession de l’autre et de dégager du temps médical » mais également permet d’améliorer la santé des patients à travers des actions sur l’accès aux soins, le parcours de soins et la prévention. A l’occasion de « Juin vert », un médicobus sensibilisera et dépistera les femmes au cancer du col de l’utérus en réalisant un frottis*. « Dans ce bus, nous espérons un médecin en présentiel, très bien aménagé pour les téléconsultations. Nous espérons aussi que les médecins voudront bien sortir de leurs cabinets pour découvrir d’autres populations et visiter le territoire. Agen est un désert médical. Nous sommes tous enfermés dans nos officines, on ne communique pas » regrette Patricia Moreaux.
La téléconsultation pallie le manque de médecin grâce aux cabinets médicaux connectés de proximité comme le H4D proposant un bilan autonome (évaluation de la douleur, prise de tension artérielle, de la fréquence cardiaque, du taux d’oxygène dans le sang, mesure de la taille, prise de poids, calcul de l’IMC, prise de température, tests visuels et auditif) ou une téléconsultation clinique auquel se rajoute l’ECG, le stéthoscope, l’otoscope et le dermatoscope( le rétinographe, le glucomètre et la caméra PTZ étant en option et nécessitant l’aide d’un personnel de santé). « Il y a une prise de conscience de la santé qui a évolué grâce à Internet » reconnaît Bruno Chauvin, directeur du Pôle de Santé du Villeneuvois mais « le cœur des études médicales sera irremplaçable ».
« La santé est l’un des enjeux majeurs pour l’implantation des entreprises sur un territoire » a très justement fait remarquer une personne de l’auditoire.

Le guichet unique « All Inclusive »
« Nous sommes en zone sous-dense, constate Annie Mesina-Ventadoux, vice-présidente du Conseil Départemental du Lot-et-Garonne, en charge des personnes âgées et de la démographie médicale. La santé est une compétence régalienne mais le département de Lot-et-Garonne s’est saisit de cette compétence » à travers, notamment, le dispositif « All Inclusive » (tout inclus) qui accompagnera sur-mesure l’installation des médecins ou des internes sur notre territoire (normalement opérationnel dès l’automne 2024) d’un point de vue professionnel (identification des freins à l’installation, facilitation des démarches administratives…) et familial (aide à la recherche de logement, accompagnement du conjoint dans sa quête d’emploi, mise en contact pour la scolarisation ou la garde des enfants, présentation de l’offre culturelle, sportive et de loisirs du territoire…). Le Département de Lot-et-Garonne s’est aussi engagé à attribuer une aide de 20 000 euros à des infirmiers en pratique avancée en soins primaires contre leur engagement à réaliser ses stages puis servir deux ans minimum en exercice coordonné en Lot-et-Garonne. « En deuxième année de médecine, seuls 10 % des étudiants sont Lot-et-Garonnais » indique Annie Messina-Ventadoux.
« Les collectivités ont la compétence générale pour se saisir de la santé, rappelle Nadège Lauzzana, adjointe au maire d’Agen et conseillère communautaire en charge des politiques de santé à l’Agglomération d’Agen. On forme des médecins hyperspécialisés et de moins en moins de généralistes. Il y a une différence ente l’offre médicale et les besoins médicaux ». La création d’un internat accueillant des internes en stages au centre hospitalier Agen-Nérac (ou chez un praticien) est très apprécié. « Plus de 1 000 internes ont été accueillis depuis 2014, précise Nadège Lauzzana. La greffe a bien pris. Nous les avons adoptés ! »
Etablir des filières de soin
« Il faut établir des filières de soin, estime Lionel Combes, directeur de la Clinique Esquirol. Il est plus facile d’être constitués en filières, de former des équipes pour attirer des jeunes qui travaillent avec de nouvelles techniques (robotique, intelligence artificielle…). Lâchez-nous plus d’internes et de docteurs juniors ! On accompagne les jeunes dans les démarches administratives, on les accompagne pour aller rencontrer des médecins généralistes et des pharmaciens afin de retisser du lien. Nous essayons de mettre en place des attachés de recherche dans l’établissement pour permettre aux médecins de continuer à faire de la recherche ». Annie-Messina-Ventadoux reconnaît que « dans le Lot-et-Garonne, il manque du lien entre les acteurs ».
Pour l’heure, il convient de s’interroger sur les besoins des patients et sur la manière d’améliorer l’attractivité du territoire Lot-et-Garonnais pour les médecins afin que la désertification médicale ne soit plus, demain, qu’une simple parenthèse à refermer.
Lien : https://lesamisdelasante-lotetgaronne.fr/
Adhésion à la CPTS du Grand Agenais : https://www.helloasso.com/associations/communaute-professionnelle-territoriale-en-sante-du-grand-agenais
*pour rappel, le 11 juillet 2019, « la HAS (Haute Autorité de Santé) recommande l’utilisation du test HPV en première intention lors du dépistage du cancer du col de l’utérus à partir de 30 ans. » https://www.has-sante.fr/jcms/p_3069063/fr/depistage-du-cancer-du-col-de-l-uterus-le-test-hpv-recommande-chez-les-femmes-de-plus-de-30-ans