Journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme
Daniel Barnier, préfet de Lot-et-Garonne a présidé, le 11 mars dernier, la cérémonie d’hommage aux victimes du terrorisme au sein de la Préfecture, en présence d’autorités civiles et militaires ainsi que d’élèves du lycée Jean-Baptiste de Baudre d’Agen. A l’issue de la cérémonie, Gabriel Pichon, président de l’union départementale des anciens combattants de Lot-et-Garonne, est intervenu en tant que témoin et victime de l’attentat survenu le 19 août 2003 au sein du quartier général de l’Organisation des Nations Unies à Bagdad qui a coûté la vie à 22 personnes dont le diplomate Sérgio Vieira de Mello et a fait 127 blessés.
Si la journée du 11 mars honore toutes les victimes du terrorisme, cette date a été choisie en mémoire des attentats de Madrid commis le 11 mars 2004 : ce jour funeste, plusieurs bombes posées par des islamistes ont explosé dans des trains de banlieues faisant 192 morts et 1 852 blessés : trois bombes à la gare d’Atocha, deux bombes à la gare d’El Pozo, une bombe à la gare de Santa Eugenia ainsi que quatre bombes dans un train à la Calle Téllez, en dehors d’Atocha.
« La commémoration est d’abord ce que la Nation doit à toutes les souffrances endurées par les victimes du terrorisme, a déclaré Daniel Barnier, dans son allocution. Elle marque aussi la reconnaissance envers celles et ceux dont l’engagement physique, moral et intellectuel s’est manifesté face aux violences nées de ces tragédies. Elle constitue la preuve que la terreur n’a pas anéanti la promesse républicaine.
Elle rassemble tous les Français dans une oeuvre de mémoire collective, une réponse à tous ceux qui ont versé le sang sur le sol de la France, sur les terres d’Europe, partout dans le monde, un avertissement aux groupes qui ourdissent encore des projets de terreur, une promesse d’unité, de souvenir, d’action […]
Ensemble, honorons la mémoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants de France, touchés dans leur chair et dans leur esprit.
Ensemble, saluons l’action des forces de l’ordre, des sauveteurs, des soignants et des anonymes qui ont aidé nos concitoyens dans un esprit de dévouement exemplaire. Je m’incline devant le courage de toutes celles et ceux qui sont ainsi intervenus, parfois jusqu’au sacrifice ultime à l’image du Colonel Arnaud Beltrame à Trèbes le 23 mars 2018. Leur courage n’était pas en effet le sursaut de l’instant. C’était l’élan citoyen de femmes et d’hommes prêts à donner leur vie pour leurs compatriotes.
Ensemble, remercions nos soldats qui s’engagent pour la France et qui combattent le terrorisme sur des terrains étrangers et hostiles. Je pense alors au caporal Cédric Charenton, originaire de Marmande et ancien élève de BTS du lycée De Baudre à Agen devenu militaire, désigné pour participer à l’opération SERVAL au Mali, mortellement touché au cours d’un combat avec les terroristes le 2 mars 2013 […]
Il nous faut analyser les évolutions, les causes, les racines du terrorisme, lutter contre les ferments de haine sans jamais rien justifier ni excuser […] Collectivement, il est important d’accroître notre niveau de vigilance et de nous impliquer davantage dans l’acquisition des bonnes réactions, afin de contribuer directement à la lutte contre le terrorisme et à la résilience de la Nation […]
Face à la menace terroriste qui est toujours très élevée, nous ne renoncerons à rien.
Nous ne renoncerons pas à la liberté, à la liberté de croire ou de ne pas croire, à la liberté de penser, de dire, de dessiner.
Nous ne renoncerons pas à l’égalité entre tous les citoyens, à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous ne renoncerons pas à la fraternité.
Nous ne renoncerons à aucune des valeurs de la République ni à cet esprit de résistance qui fait la République si grande, la France si forte ».
Le Préfet invita ensuite l’auditoire à observer une minute de silence avant d’écouter le témoignage de Gabriel Pichon, l’un des anciens responsables de la sécurité de Sérgio Vieira de Mello (il dirigeait avec Romain Baron et Alain Chergui, tous trois anciens militaires, une équipe de neuf policiers en charge de la protection rapprochée du haut-commissaire aux droits de l’Homme, nommé en mai 2003, représentant spécial de Kofi Anan à Bagdad, missionné pour aider l’Irak à se reconstruire après la dictature de Saddam Hussein et la guerre déclenchée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni).
Ancien militaire de carrière du 8° RPI ma (8ème Régiment parachutiste d’infanterie de marine) de 1976 à 1984, Gabriel Pichon exercera la fonction de fonctionnaire international à l’ONU, (sergent Responsable de la Sécurité des Droits de l’Homme au Palais Wilson Genève et sergent de la Protection Rapprochée de Hautes Responsabilités) de 1990 à 2011.
« Le 19 août 2003, un camion bétonnière de trois tonnes et demi d’explosifs est entré dans le bâtiment (hôtel Canal qui hébergeait le quartier général des nations Unies, Ndlr), a évoqué Gabriel Pichon. J’y étais avec mon équipe et le fou d’Allah a appuyé sur le bouton de la bombe. J’ai perdu 22 de mes camarades et il y a eu 127 blessés. J’ai eu cette chance d’être un survivant. C’est l’effet du souffle qui m’a sauvé la vie. J’ai été projeté entre les deux portes d’ascenseur, bloqué sur la partie restante du deuxième étage. Ma mission consistait à aller chercher le patron (Sérgio Vieira de Mello). J’entends encore le crépitement du béton et croyez bien qu’il ne fallait pas être claustrophobe ! J’ai réussi à le faire remonter avec l’aide des forces spéciales » mais Sérgio Vieira de Mello n’aura pas survécu à cette tragédie. En 2008, l’Assemblée générale des Nations Unies désignera le 19 août comme la Journée mondiale de l’aide humanitaire.
Kofi Annan l’affirmait haut et fort : « Une attaque terroriste contre un pays est une attaque contre l’humanité tout entière ».
Atteint du syndrome de Lazare dit du « survivant »
Gabriel Pichon fera partie des rescapés de ce terrible attentat-suicide imputé à l’organisation terroriste Al-Quaïda. « Le pendant est extrêmement difficile lors d’un attentat terroriste mais l’après est encore plus terrible » a confié l’ancien garde du corps de Sérgio Vieira de Mello. Je me suis demandé : pourquoi suis-je vivant et pourquoi eux sont-ils morts ? Les familles me regardaient avec un regard pesant. Un jour, j’étais dans mon garage, j’avais mon arme et j’ai voulu passer à l’acte. C’est un coup de téléphone qui m’a sauvé la vie. Ma femme est entrée dans le garage pour m’informer de ce coup de fil et c’est là qu’elle a découvert ce que je m’apprêtais à faire. La famille est un exutoire. »
Gabriel Pichon s’est vu décerner, le 11 mars 2020, la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme. Le biopic « Sergio » réalisé par Greg Barker en 2019, traitera de ce drame et c’est l’acteur allemand Clemens Schick (surnommé « Gaby » dans le film) qui interprétera le rôle de Gabriel Pichon. « La transmission de la Mémoire est la mission des anciens combattants, poursuit l’ancien militaire et responsable de la sécurité à l’ONU. Rappelez-vous tout ce que nos anciens ont fait. Si vous ne respectez pas les forces de l’ordre, vous salissez le drapeau français ! » Les enfants de Gabriel Pichon sont pupilles de la Nation. « Lors de l’attentat du 19 août 2003, mes enfants m’ont vu à la télévision et cela les a perturbés pendant longtemps, avoue Gabriel Pichon. Dans de telles circonstances, nous pensons à la famille bien sûr mais nous sommes des professionnels avant tout. Bien souvent des couples explosent mais le mien s’en est trouvé renforcé car j’ai été soutenu. Si des personnes qui ont vécu un tel drame ont besoin de parler, écoutez-les. Le psy m’avait conseillé d’évacuer tout ce que j’avais vécu. J’ai donc écrit deux livres*. ». Ces écrits lui permettront d’exorciser ses traumatismes. Gabriel Piochon a tenu à remercier Sandrine Bru, directrice de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, pour le soutien qu’elle apporte aux victimes de terrorisme et aux anciens combattants.
Le terrible attentat du 19 août 2023 entre en résonance avec le coup de force japonais du 9 mars 1945, comme l’a relaté monsieur Jacques, ancien combattant en Tunisie, Algérie et Indochine lorsque les forces japonaises prirent le contrôle total de l’Indochine française et décapitèrent au sabre de nombreux prisonniers parmi lesquels le général Lemonnier. Ce coup de force causera la mort de 2 650 Français.
Des forces de l’ordre exposées à l’obscurantisme terroriste
Le colonel Emmanuel Houzé, commandant le groupement de gendarmerie de Lot-et-Garonne, se souvient du sacrifice d’Arnaud Beltrame, qui pris la place, le 23 mars 2018, d’une caissière d’un supermarché à Trèbes, retenue par un terroriste. « Cela nous rappelle d’autres proches qui ont perdu la vie, a évoqué le colonel. Depuis 2015, nous avons malheureusement vécu des événements funestes en terrorisme, un terrorisme qui prend plaisir à cibler les forces de l’ordre qui font partie de ces corps de métier plus exposés que d’autres mais la sécurité est le cœur de notre engagement. »
Pour le commandant Bruno Fradet, directeur départemental adjoint de la sécurité publique de la police nationale de Lot- et-Garonne, « avec les premiers attentats, nous avons changé de matrice. Nous formons les policiers à avoir les bons gestes. La réponse au terrorisme ne peut se faire qu’en état de droit. Gardez toujours une petite lumière en vous et veillez. Si vous voyez quelque chose d’anormal, ayez le réflexe du 17. La sécurité, c’est l’affaire de tous. On s’engage tous au service de la nation. Nous sommes prêts à sacrifier nos vies mais il faut que la majorité de la population nous soutiennent. Gardez votre esprit critique : il se dit tellement de bêtises sur les réseaux sociaux ! »
Libérer la parole des victimes
Olivier Naboulet, procureur de la République estime que « le premier temps est d’arriver sur place et de sécuriser, de faire en sorte que les preuves soient recueillies et non polluées. Les curieux, il y en a toujours trop. Le temps de la justice est tellement long avant qu’il y ait des procès. C’est une forme de frustration. Celui qui va tirer en rafales et se fera sauter lui-même ne sera pas jugé. Ce sera souvent incompris. La parole de la victime ressort à un moment donné et le recueil de la parole n’est pas évident. A l’audience, il va falloir s’expliquer. C’est dur de dire les choses mais cela fait partie du travail de reconstruction de la victime. Si nous sommes libres aujourd’hui, c’est parce que des anciens se sont battus pour que notre liberté puisse exister. »
Devenir des citoyens éclairés
Fabien Jaillet, secrétaire général de la direction des services départementaux de l’éducation nationale de Lot-et-Garonne (DSDEN 47) a tenu à rendre hommage aux enseignants dont certains ont payé un lourd tribu comme Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, décapité le 16 octobre 2020 devant le collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine pour avoir montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet publiées par le journal Charlie Hebdo, lors d’un cours portant sur la liberté d’expression : « Le respect que vous devez aux personnes en uniforme, vous le devez aussi aux enseignants, aux élus, pour devenir des citoyens éclairés, a-t-il déclaré en s’adressant aux lycéens de Jean-Baptiste De Baudre. Ecoutez vos enseignants. Ce qu’ils ont à vous apprendre est fondamental ! »
Le colonel Frédéric Tournay, directeur départemental des services d’incendie et de secours de Lot-et-Garonne constate que « beaucoup de monde se battent pour instaurer la démocratie. La première mission consiste à appliquer le choix du vote. C’est à travers le vote que la démocratie se poursuit ! »
« Avec ma fille, nous avons été victimes d’un attentat à l’étranger mais nous n’en avons pas trop parlé » a confié Béatrice Lavit, conseillère départementale et présidente de la caf de Lot-et-Garonne.
Maïté François, conseillère municipale déléguée à l’état civil, aux cimetières, aux élections ainsi qu’aux protocoles et réceptions invite les jeunes à se rendre en mairie : « Nous travaillons sur l’éducation citoyenne. Vous pouvez monter des projets et je vous aiderez à les mettre en place avec vos professeurs. »
Le lieutenant-colonel Mansion, de la délégation militaire départementale de Lot-et-Garonne (DMD 47), rappelle que « sur la bande sahélo-saharienne, nous avons laissé beaucoup de nos hommes et sur le territoire national, c’est la force Sentinelle qui est déployée. » La « mission inachevée » de Gabriel Pichon est entrée en résonance avec une tragédie vécue par le lieutenant-colonel Mansion : « L’attentat au marché de Noël de Breitscheidplatz (ouest de Berlin) du 19 décembre 2016, j’y étais avec ma famille, a confessé le militaire. Il s’en est fallu de peu car le camion est passé à 10 mètres de nous et j’ai assisté, impuissant, à la scène (le camion fou a foncé dans la foule, tuant 12 personnes et faisant 48 blessés, Ndlr). J’ai vu tous ces gens se faire écraser par le camion et j’ai participé, avec les autres, à les aider.
« Mon mari était militaire, a confessé Françoise Laurent, conseillère départementale déléguée aux anciens combattants et à la mémoire. Il était au Koweit. Dans quelques années, nos anciens ne seront plus là et il ne restera que les OPEX ». Les témoignages de nos anciens sont précieux et garants de notre Histoire.
Le vote : un devoir électoral
Pourquoi les terroristes s’attaquent-ils aux pays européens ? « Ils ne supportent pas que nous décidions nous-mêmes de nos dirigeants, l’égalité hommes-femmes, la liberté des cultes… La première réponse est civique : allez accomplir votre devoir électoral ! Comment peut-on critiquer un gouvernement si l’on ne fait pas l’effort d’aller choisir son dirigeant ? Cette réponse au terrorisme peut aussi trouver racine dans notre vie quotidienne : n’hésitez pas à contacter la police ou la gendarmerie si vous avez des doutes sur une personne qui pourrait mal tourner. C’est votre rôle de citoyen ! S’engager comme citoyen dans toutes les missions d’intérêt général (sapeur-pompier volontaire, réserviste militaire, réserviste de la gendarmerie nationale, réserviste de la police nationale…) est une façon de rendre à la République ce qu’elle vous a donnés. Si notre peuple fait front, nous allons gagner ! »
* « Mission inachevée » (2005, Editions du Tricorne) et « Irak, nom de code : U.N.O.C.H.I Bagdad » (2016).
Ne les oublions pas…
Sérgio Vieira de Mello n’est pas décédé tout seul dans l’attaque du camion. Un monument érigé devant le palais Wilson à Genève présente le buste du diplomate ainsi que la liste des 22 personnes tuées dans l’attaque du quartier général de l’ONU à Bagdad. Saad Hermuz Abona Reham al-Farra Raid Shaker Mustafa al-Mahdawi Omar Kahtan Mohamed al-Orfali Leen Assad al-Qadi Mahmoud Taiwi Basim Ranilo Buenaventura Gillian Clark Arthur Helton Richard Hooper Reza Hosseini Jean-Sélim Kanaan Christopher Klein-Beekman Ihssan Taha Hussein Manuel Martin Khidir Saleem Sahir Emaad Ahmed Salman Alya Sousa Martha Teas Fiona Watson Nadia Younès
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