Inauguration de l’exposition « Le lycée Jean-Baptiste de Baudre, lieu de formation et de refuge : l’histoire des réfugiés juifs de l’École pratique (1934-1935) »
L’inauguration de l’exposition « Le lycée Jean-Baptiste de Baudre, lieu de formation et de refuge : l’histoire des réfugiés juifs de l’École pratique (1934-1935) » s’est déroulée jeudi 16 mai dernier au siège des Archives départementales de Lot-et-Garonne en présence de Françoise Laurent, conseillère départementale déléguée aux anciens combattants et à la mémoire, de David Silveira, proviseur du lycée Jean-Baptiste de Baudre, de Stéphane Capot, directeur des Archives départementales, de David Lalau, professeur d’histoire-géographie, de Sandrine Lacombe, archiviste responsable du service éducatif des Archives départementales ainsi que de la classe de Terminale qui a mené à bien ce projet éducatif.
La célébration du centenaire de la création du lycée Jean-Baptiste de Baudre, en octobre prochain à Agen, offre l’occasion pour la communauté éducative de porter un regard rétrospectif sur l’ancienne « École pratique de commerce et d’industrie d’Agen » par le biais d’un projet pédagogique, matérialisé le 16 mai dernier, grâce à l’inauguration aux Archives départementales de Lot-et-Garonne, d’une exposition itinérante intitulée « Le lycée Jean-Baptiste de Baudre, lieu de formation et de refuge : l’histoire des réfugiés juifs de l’École pratique (1934-1935) » accompagnée de son livret d’accompagnement, fruit d’un partenariat tissé entre le lycée de Baudre et les Archives départementales durant l’année scolaire 2023-2024. Dans un premier temps, cette exposition sera présentée aux Archives départementales, puis au lycée de Baudre et à la synagogue d’Agen.
Dans le cadre de la spécialisation « histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques », une classe de Terminale s’est penchée sur un épisode méconnu de l’histoire du lycée Jean-Baptiste de Baudre, en collaboration avec David Lalau, leur professeur d’histoire-géographie et Sandrine Lacombe, archiviste responsable du service éducatif des Archives départementales. Ils ont travaillé sur l’histoire et le parcours de vie d’une quinzaine de jeunes garçons juifs qui ont été scolarisés au lycée de Baudre en 1934-1935, après l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933 en Allemagne.
À partir des documents trouvés en partie aux Archives départementales et des contacts obtenus avec les villes d’origines de ces réfugiés, les élèves ont élaboré une exposition de dix panneaux retraçant sous forme de portraits le parcours de ces jeunes juifs concernant, pour la plupart, de jeunes allemands ayant fui le nazisme avec leur famille. On y découvre des itinéraires singuliers : certains s’engageront lors de la guerre d’Espagne, d’autres partiront pour la Palestine. Certaines de ces familles seront touchées par la Shoah.
L’exil comme échappatoire au nazisme
Les noms de quinze réfugiés juifs originaires d’Allemagne, pour la plupart (Siegfried Diener, Fritz Stein, Max Stein, Werner Sussmann, Max Walter Schmelzer, Simon Weltmann, Leo Tennenbaum, Josef Willner, Boris Berdnikow, Arno Barr, Hermann Kahn, Maurice Helfmann, Kurt Ermann, Bernhard Alexander et Helmut Goldschmidt) figurent sur les registres de l’ancienne École pratique de commerce et d’industrie d’Agen (aujourd’hui lycée Jean-Baptiste de Baudre) durant l’année scolaire 1934-1935. Ces jeunes gens qui ont quitté l’Allemagne après l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933, passeront par Paris, puis rejoindront l’École pratique de commerce et d’industrie avant de gagner la Palestine. Le choix de la France comme terre d’exil temporaire par ces jeunes âgés entre 15 et 28 ans s’explique par la proximité géographique avec l’Allemagne, le fait de pouvoir être hébergés sur place par des proches et qu’il n’y ait pas en France de restrictions à l’immigration.
Des associations pour subvenir à leurs besoins
Une fois arrivée à Paris, les jeunes découvriront que leurs visas ne leur permettaient pas de travailler, à l’instar de Fritz Stein qui espérait travailler dans une usine à chaussures tenue par l’un de ses proches. Werner Sussmann logera à Courbevoie, chez un « parent éloigné » et recevra 70 francs par mois de la part de ses parents. Fritz Stein sera aussi aidé financièrement par des parents. Max Schmelzer s’installera à Belleville chez sa tante paternelle comme Simon Weltmann qui logera avec sa famille dans un appartement. Fritz Stein sera hébergé un temps dans un hôtel du Marais et Josef Willner, dans l’ancien hôpital Andral. Les autres jeunes ne parvenant pas à subvenir à leurs besoins se tourneront vers les associations d’aide aux réfugiés juifs. La principale association venant en aide aux réfugiés juifs est le comité national de secours aux réfugiés allemands victimes de l’antisémitisme qui fournit des bons pour les repas, un logement ou des bons pour des hôtels. Il aide aussi les réfugiés à obtenir des papiers en règle auprès de la Préfecture et à l’émigration d’une partie des réfugiés vers la Palestine.
Justin Godard, le « Juste parmi les nations »
C’est probablement par rapport à ce dernier point que les quinze jeunes entreront en contact avec le Comité agriculture et artisanat fondé par Justin Godard qui sauvera de nombreux juifs. Ce comité doit permettre aux jeunes de se former avant de rejoindre la Palestine, alors sous mandat britannique, en les plaçant en apprentissage chez des paysans, des artisans ou en leur permettant d’intégrer des écoles professionnelles comme l’École pratique de commerce et d’industrie d’Agen. Les Britanniques accordent une certaine quantité de certificats de travail pour entrer en Palestine par catégories d’âge et de métiers. Une fois leurs candidatures de départ pour la Palestine acceptée, les jeunes rejoignent l’école pratique : les onze premiers réfugiés juifs seront scolarisés à compter du 1ᵉʳ octobre 1934, trois autres intégreront l’établissement le 31 octobre puis Werner Sussmann sera le dernier à arriver le 29 mars 1935. Concernant leurs activités au sein de l’école pratique, les jeunes auraient « été plus spécialement orientés vers l’entretien » et auraient effectué des travaux de menuiserie et de serrurerie, selon le courrier du commissariat de Police de la ville d’Agen adressé à la préfecture de Lot-et-Garonne, en date du 27 février 1935. Maurice Helfmann, Siegfried Diener, Walter Schmelzer et Leo Tennenbaum auraient obtenu la mention « bon sujet » et Max Stein, celle d’ « excellent élève ».
14 réfugiés sauvés des griffes du nazisme
Les réfugiés quitteront l’école pratique entre le 4 janvier et le 15 juillet 1935, à l’exception de Kurt Ermann qui rejoindra l’école hôtelière de Clermont-Ferrand le 9 novembre 1934, Max Stein qui sera rappelé par le comité à Paris le 29 novembre 1935, ayant probablement différé son départ pour attendre Fritz Stein, son cousin, évacué en Allemagne pour cause de maladie le 8 mars 1935.
Le départ pour la Palestine s’effectue par bateau depuis le port de Marseille. Bernhard Alexander et Hermann Kahn exerceront le métier de policiers en Palestine mandataire. Leo Tennenbaum s’installera durablement en terre palestinienne et deviendra chauffeur automobile. On perdra la trace de Siegfried Diener à Haïfa, en Palestine. Arno Barr et Boris Berdnikow partiront combattre en Espagne contre les troupes franquistes. Werner Sussmann s’engagera dans l’armée sud-africaine pendant la guerre jusqu’à la fin de ses jours. Kurt Ermann deviendra cuisinier dans l’armée américaine puis à l’hôtel Waldorf-Astoria (New-York) à la fin de la guerre. Helmut Goldschmidt s’engagera aussi dans l’armée américaine. Il ne serait pas arrivé aux États-Unis depuis la Palestine, mais depuis l’Allemagne. Josef Willner aurait été reconnu comme citoyen israélien, la naturalisation palestinienne lui ayant été refusée pour cause d’ « activités subversives » et d’engagement politique. Simon Weltmann bougera beaucoup : il participera à la fondation du kibboutz Ein Gev en Palestine, rejoindra l’armée britannique lors de la Seconde Guerre mondiale puis deviendra capitaine dans l’armée israélienne après la création de l’État d’Israël. Une fois retraitée, il partira s’installer à Chicago auprès de son frère et s’éteindra, centenaire.
Seul, Fritz Stein, le seul réfugié à n’avoir pu partir, connaîtra un destin tragique : il sera déporté le 15 novembre 1943 au camp de concentration de Bois-le-Duc aux Pays-Bas, puis à Auschwitz où il sera assassiné le 31 janvier 1944. Son cousin Max Stein sera interné en France en 1941, envoyé dans un camp en Algérie en 1943, partira pour l’Angleterre à la fin de la guerre puis aux États-Unis où il obtiendra la nationalité américaine en 1947.
Le départ de ces jeunes réfugiés juifs vers la Palestine leur a probablement sauvé la vie, car une grande partie de leur famille restée en Europe a été assassinée. Rien ne s’efface sur le tableau noir des persécutions, mais les projets éducatifs, portés par le devoir de mémoire, peuvent être les catalyseurs d’un éveil des consciences, contre le poison antisémite qui confine des personnes dans leur identité. Ce sursaut, il en va de la survie de la civilisation européenne.
Informations pratiques
Exposition du 16 mai au 21 juin 2024 aux Archives départementales de Lot-et-Garonne – 3 place de Verdun à Agen. Horaires : le lundi de 13 h 30 à 17 heures ; du mardi au jeudi de 9 heures à 12 heures et de 13 h 30 à 17 heures ainsi que le vendredi de 9 heures à 12 heures et de 13 h 30 à 16 heures. Entrée libre et gratuite. Possibilité pour les groupes d’assister à une visite commentée sur rendez-vous pendant les horaires d’ouverture. Un livret conçu par les élèves accompagne cette exposition. Pour tous renseignements complémentaires, contactez les Archives départementales au 05 53 69 42 67. |