Interview de Christophe Duthuron, réalisateur du film « Fêlés »
Réalisateur, metteur en scène, auteur et comédien d’origine marmandaise, Christophe Duthuron possède plusieurs cordes à son arc artistique. C’est au cœur de la compagnie de théâtre « Les Baladins en Agenais » de Roger Louret et Marianne Valéry, qu’il débutera sa carrière en tant que comédien. Cet admirateur de Pierre Richard n’hésitera pas à monter à Paris pour espérer le rencontrer, allant jusqu’à attendre des heures durant en face de sa péniche. Il finira par attirer l’attention de Pierre Richard qui l’invitera à monter à bord de sa péniche, voguant à partir de ce jour sur des flots d’une amitié de plus de trente ans. Coscénariste en 2000 de la série à succès « Un gars, une fille » qui a impulsé la carrière de Jean Dujardin et d’Alexandra Lamy, il coécrira, en 1991, certains sketchs du premier spectacle « Tous des guignols » d’un certain… Nicolas Canteloup avant de devenir coauteur en 2007, avec Pierre Palmade, des « Fugueuses », pièce de théâtre interprétée par Line Renaud et Muriel Robin.
Est-ce que le fait de réaliser la comédie dramatique « Fêlés » fut, pour vous, un moyen de vous réconcilier avec vos propres « fêlures » et de vous sentir plus légitime à être vous-même ?
C.D. : C’est plutôt la rencontre avec Pierre Richard, il y a bien longtemps, qui m’a permis de répondre à la question de la légitimité et de la fêlure. Ses personnages de cinéma, a contrario des héros classiques, revendiquent leurs failles et en font une force. C’est devenu constitutif de ma personnalité. La réalisation du film a plutôt répondu à la question de la solitude, qui n’est pas une fatalité, et au découragement qui vous saisit, parfois, face à la violence du monde. Les adhérents, qui la subissent au quotidien, ont retrouvé, malgré tout, le chemin de la joie au travers de la maison et du groupe. Ils m’ont donné cette énergie, si contagieuse, et ces clés, que j’ai voulu à mon tour partager.
Quel est le message principal que vous avez souhaité véhiculer à travers ce film ?
C.D. : Plus qu’un propos, une sentence, (elles sont si nombreuses, les clés, dans le discours de Tosquelles), c’est plutôt un souffle, un état d’esprit que j’ai voulu véhiculer. Créer du lien.
La psychiatrie est considérée, aujourd’hui, comme le « parent pauvre » de la médecine. Est-ce que vous pensez que ces maisons « Arc en Ciel » sont les réponses les plus adéquates pour permettre aux personnes de se reconstruire et de ne plus « récidiver » en effectuant des séjours réguliers dans les hôpitaux psychiatriques souvent stériles puisque les personnes, à leur sortie, souvent confrontées à la solitude, rechutent ?
C.D. : Il m’est difficile de dire que c’est LA solution, ou la plus adéquate. Ce serait sectaire, et surtout prétentieux. Je n’en ai pas la compétence.
En revanche, quand je vois les résultats obtenus, j’ai la conviction qu’il se joue là quelque chose de déterminant. Je déplore que Tosquelles disparaisse de l’enseignement de la psychiatrie, et ai donc ressenti la nécessité de faire entendre cette voix et cette voie !
Que diriez-vous aux personnes « lunaires », « atypiques », aux « écorchés de la vie », à ceux qui ont « lâché la barre » à un moment donné de leur existence et qui ont l’impression de ne plus avoir leur place dans le monde d’aujourd’hui ?
C.D. : J’espère que c’est dit dans le film, que chacun pourra y trouver les « clés » qui lui conviennent, emporter quelque chose avec lui. Sinon, je crois très fort à la force du groupe, et qu’on ne s’en sort pas seul. Voilà, c’est ça. Je leur dirais : « T’es pas tout seul ! »
Et pour ce qui est de « lâcher la barre », je dirais qu’on a le droit d’être mal, même si ce n’est pas à la mode. Et même qu’en passer par là est un cadeau pour la suite. En travaillant sur le film, une phrase de Balint, je crois, m’est restée : « Si je n’avais pas eu ma dépression, je serais sans doute resté con toute ma vie ». Ce ne sera plus comme avant, soit, mais qui a dit que ce serait moins bien ?
Qu’est-ce qui a solidifié, selon vous, cette amitié de plus de 30 ans que vous avez nouée avec Pierre Richard ?
C.D. : Avec Pierre, le socle commun est large. Une sensibilité commune, des goûts littéraires, musicaux, cinématographiques communs… Ensuite, évidemment, c’est de travailler ensemble qui a solidifié le tout. Et surtout… qu’est-ce qu’on rit !
Le personnage de Pierre refait plusieurs fois ses lacets dans le film. Au-delà de l’homme distrait auquel vous avez voulu rendre hommage, peut-on aussi y voir la symbolique d’une union trop nouée avec Louise qui lui interdit de quitter les lieux ? Et lorsque l’urne se brise sur le toit de la voiture, faut-il comprendre que cela lui permet de se détacher de Louise et en même temps de la libérer ?
C.D. : La résonance que vous voyez entre les lacets et le « lien » me parle beaucoup, mais n’est pas intentionnelle au départ. À l’origine, cela vient d’un poème de Prévert que Tosquelles appréciait particulièrement :
“ Le petit homme qui chantait sans cesse
Le petit homme qui dansait dans ma tête
Le petit homme de la jeunesse
A cassé son lacet de soulier…
Et toutes les baraques de la fête
Tout d’un coup
se sont écroulées ”…
Je n’ai pas pu le mettre dans le film, mais son thème, son image, sont omniprésents.
Même si le sujet d’ « Un p’tit truc en plus » relève de la comédie, beaucoup de personnes sont déjà en train de comparer les deux films alors que le vôtre vient à peine de sortir. Est-ce parce que les deux films respirent de bienveillance, sont inspirants et qu’ils abordent des thématiques peu traitées au cinéma ?
C.D. : Je n’ai pas le recul nécessaire pour vous répondre… C’est aux spectateurs des deux films d’en parler… à condition qu’ils les aient vus !
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