Société

« Remettre le monde à l’endroit »

« Le Consentement » ou l’histoire d’une jeune fille victime d’une emprise passionnelle destructrice de la part d’un pédocriminel expérimenté et manipulateur qui aura réussi à piéger les spectateurs et susciter une situation malaisante. © Craiyon

Réaction de Stéphanie Feliculis, psychologue et psychothérapeute, après le visionnage du film « le Consentement » de Vanessa Filho

Dans le cadre de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, les Montreurs d’Images ont projeté le film « Le Consentement » de Vanessa Filho, adapté de l’ouvrage de Vanessa Springora. « Vanessa a treize ans lorsqu’elle rencontre Gabriel Matzneff, écrivain quinquagénaire de renom. La jeune adolescente devient l’amante et la muse de cet homme célébré par le monde culturel et politique. Se perdant dans la relation, elle subit de plus en plus violemment l’emprise destructrice que ce prédateur exerce sur elle. » Cette séance fut suivie d’un débat avec des associations. Stéphanie Feliculis, psychologue et psychothérapeute, a livré son ressenti, suite au visionnage de ce film.

« Après avoir vu ce film, quel est le malaise qui m’étreint et que je n’étais pas la seule à sentir, vu les réactions de la salle lors du débat samedi 25 novembre aux Montreurs d’images à Agen ? Lorsque j’avais lu le livre éponyme de Vanessa Spingora, j’avais salué son courage, loué sa plume trempée dans la colère la plus juste de la victime d’emprise qui secouait les grilles de sa prison pour y enfermer à tout jamais son bourreau ? Mon écœurement, je ne l’ai compris qu’à cinq heures du matin, le lendemain, et l’évidence m’en a réveillé. J’ai été victime, comme les autres spectateurs, de la manœuvre de l’agresseur, du serial pédocriminel habilement mise en scène par la réalisatrice.

Comme l’enfant de 13 ans, j’ai été placée en situation de manipulation si discrète que je n’ai perçu qu’après quelques heures, ce qui s’était tramé en coulisses, à mon corps défendant. Ici, une jeune fille mûrie par ses lectures romanesques, rêvant sa vie à travers ses héroïnes de romans et exhibée par sa mère pour cela auprès de ses amis, ne peut que chausser des lunettes romantiques et être charmée, c’est-à-dire envoûtée, c’est-à-dire possédée sans pouvoir décider de consentir lorsqu’un adulte lui dit, lui répète et lui assène, sans qu’elle puisse reprendre son souffle : « Tu es spéciale », « tu es unique », « toi, tu as provoqué mon trouble », « toi, tu m’as élu », « toi, je t’attendrai » inversant radicalement et perversement l’ordre des faits, la chronologie de la chasse et du choix opéré par le prédateur de sa nouvelle proie.

Et qui y résisterait ? Adolescente, je voulais, moi aussi, me distinguer de mes camarades. Je me voulais singulière et surtout, j’aspirais à vivre des aventures qui me fassent vibrer, qui m’embarquent loin. Mes fantaisies imaginaires, bien sages avant l’heure des réseaux sociaux, nourries peut-être des mêmes lectures que la jeune Vanessa, ne sont pas allées beaucoup plus loin que de fantasmer que « moi, collégienne », je pourrais intéresser, ô comble du bonheur, un « lycéen » ! Par chance, je n’ai pas rencontré un adulte qui savait, lui, ce qu’il faisait, en m’agonisant de lettres bien tournées et rédigées à l’encre turquoise si différente des tristes bleue et noire qui recouvraient mes cahiers et mes heures d’ennui d’écolière interminable en classe de maths ou de physique. Heureusement, car je n’aurais alors probablement pas été en mesure de résister à cette élection écrabouillante, à laquelle la petite héroïne succombe.

Le livre de Vanessa Spingora paru en 2020, celui de Camille Kouchner, La familia grande, associés au film d’une autre victime d’un pédocriminel Andréa Bescond, Les chatouilles, ont tous contribué à la loi du 21 avril 2021 qui fixe le seuil à quinze ans pour présumer qu’un adolescent ne saurait avoir la lucidité suffisante pour consentir vraiment à une relation sexuelle avec un adulte de plus de cinq années plus âgé que lui ou elle.

Me souvenir de cela, m’aide à mieux respirer et à sortir de l’inconfort suscité par ce film.

Je suis psychologue et psychothérapeute. J’accompagne depuis vingt-cinq ans des personnes qui se font hameçonner par les mêmes manœuvres narcissiques d’une efficacité d’autant plus redoutable qu’elles s’appliquent souvent sur la pâte à modeler de survivants de violences infantiles passées inaperçues. La même semaine mercredi 22 novembre, lors du débat sur France 2 dans la soirée consacrée aux enfants maltraités, l’ex-juge pour enfants et président de la CIIVISE (commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faite aux enfants), Édouard Durand sensibilisait à la nécessité de repérer le mode opératoire toujours identique des auteurs de violences. Insister sur cela, présente l’avantage de ne pas considérer le témoignage de Vanessa uniquement comme le fruit d’une culture et d’une époque qui serait révolue, là où l’hameçonnage masqué sur les réseaux par les pédocriminels procède aussi, à distance, de la même mécanique implacable avec les mêmes effets d’hypnotisation des proies. Et qui dit mode opératoire dit repérage du tout début de la chronologie. Malgré mes heures de vol de professionnelle de la « sortie de violences » auprès de victimes d’emprise psychologique et sexuelle, face au film de Vanessa Filho, mon malaise à voir le trouble de l’adolescente m’a fait oublier, jusqu’à mon insomnie, comment il avait été activé avec l’habileté et l’efficacité d’un pédocriminel si expérimenté, qu’il en a effacé avec brio les traces de son passage aux yeux de tous !

Alors, chapeau à la réalisatrice et, en même temps, gros regret de ma part qu’elle ait fait confiance à notre intelligence d’adultes face au parti pris de ce qu’elle nous montrait, là. Vanessa Filho a parié que nous saurions nous souvenir de qui avait jeté le premier les filets, avant d’être sûr de ramasser le fruit sa pêche, qu’il n’y avait qu’à attendre, en en jouissant d’ailleurs probablement au passage. Alors, oui, bien que professionnelle du soin psychique, toujours prête à revendiquer la complexité du réel, oui, je me suis faite piéger quelques heures devant la manipulation. Et du coup, je comprends mieux la colère de la jeune militante dans la salle qui, outrée, trouvait que le film pouvait servir la « culture du viol » dont, bien entendu, je ne pense pas une seconde que c’était le but de Vanessa Filho.

Pas facile de naviguer en ces eaux, d’en saisir toutes les facettes et pourtant indispensable… J’avoue qu’une mention finale qui rappellerait que, depuis l’ouvrage de Vanessa Spingora mis en scène ici, une loi protège mieux les mineurs du risque qu’on abuse d’eux, m’aurait rassurée. Mais pas seulement moi. Cela aurait remis les choses à l’endroit. La jeune fille a le droit d’avoir des émois et revendiquer d’être amoureuse. Son trouble naissant et grandissant est d’ailleurs très délicatement filmé par la réalisatrice. La jeune femme peut aussi légitimement jeter à la face de sa mère, qu’elle « ne comprend rien », même si ça ne fait jamais plaisir aux femmes vieillissantes que nous sommes. Mais la vérité est qu’elle a été victime d’une prédation délibérée, qui n’est évidemment en rien de l’amour, et qu’elle le payera cher, comme les autres malheureuses avant elles.

Et j’ajouterai, forte de mon expérience clinique, que, si on avait pu arrêter l’emprise plus tôt, avant qu’elle soit « raide dingue » de son agresseur, les dégâts sur elle, auraient été moindre, sans pour autant que cela soit facile, comme avec nos jeunes qui tombent sous le charme d’entreprises sectaires. Cette mention finale aurait aussi un peu protégé le statut des « adultes protecteurs » qui existent tout de même. Car je crains que le relais par des jeunes sur TikTok de l’effet qu’a eu sur eux ce film choc, augmente encore la défiance de certains d’entre eux envers tous les adultes, alors que nous ne sommes pas tous à mettre, loin s’en faut, dans le sac du criminel. »

Véronique David

Journaliste
Après un diplôme de psychologie et un DU de Japonais, j’ai préparé un diplôme de Naturopathie-homéopathie avec la faculté Libre de Médecine Naturelle et d’Ethnomédecine de Paris XV ainsi qu’une formation de correctrice avec le Centre d’Écriture et de Communication de Paris V qui m’a aussi formée aux techniques journalistiques. Dans le même temps, j’ai rédigé des articles pour différents journaux et administrations (Mairie d'Agen, Conseil départemental de Lot-et-Garonne, Actif Formation...). J’ai aussi travaillé au sein de divers organismes (Caf, Pôle Emploi, ODAC, MEDEF, ENAP…) dans le domaine du secrétariat et préparé une formation de praticienne en coaching de Vie. Dans un tout autre domaine, je suis officier de réserve citoyenne dans l’Armée de Terre depuis une dizaine d’années. J’ai appris au fil du temps que « toutes les batailles de la vie nous enseignent quelque chose, même celles que nous perdons » (Paulo Coelho). Rêvons en grand, soyons audacieux et bâtissons l’impossible !

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